samedi 20 octobre 2007

Allo la terre ici Tiphaine

Nous venons de faire notre première longue traversée entre Gibraltar et Madère : 4 jours et 4 nuits sans mettre pied à terre ! En plus, le bateau tanguait (bouger) beaucoup car il y avait des énormes vagues. Mes deux frères, Pablo et Corentin, n’arrêtaient pas de vomir. Ils ne pouvaient rien manger. Moi, j’avais moins le mal de mer : je n’ai vomi que trois fois. Pour ne pas être malade, je me mets dans ma cabine pour écouter des disques. Et aussi, je dors beaucoup. Papa et maman, eux, ne dorment pas beaucoup car ils font des quarts : comme le bateau ne s’arrête pas la nuit, ils se relaient pour naviguer.

Il y a des moments très agréables en navigation : comme quand on voit des dauphins. En traversant le détroit de Gibraltar, on en a vu des dizaines qui sautaient de partout.

Vivre sur un bateau est très différent de la vie à la maison même quand on est au port. Par exemple, à la maison on a toute l’eau qu’on veut. Mais sur le bateau, non ! Il faut toujours économiser. Et puis, il faut faire attention à ne pas trop se salir car il n’y a pas de machine. Du coup, avec mes frères, on fait souvent la vaisselle et on lave le linge. Il y a aussi une grosse différence : on n’a pas de voiture. Alors, pour se déplacer, on fait du stop ou alors on prend un taxi.

Quand il y a du vent et que le bateau bouge, je préfère la vie à terre. Mais quand tout est calme et qu’on est port, je préfère la vie sur le bateau. Car, en plus, dans les ports, on rencontre plein de gens de tous les pays. On s’est même fait des copains de notre âge qui font le même voyage que nous. Avec eux, on n’arrête pas de pêcher, de jouer à la trotinette, et on s’invite à manger.

Dimanche 7 octobre - Madère, c’est très loin

4 jours et 4 nuits pour rallier Madère. Le passage du détroit de Gibraltar se fait au moteur : il faut vaincre les courants très forts qui poussent l’eau de l’Océan dans la Méditerranée. Et puis le vent se lève. Mer forte, grosses vagues et gros stress : cette fois, on y est. On quitte la Mare Nostrum pour pénétrer dans l’Atlantique. Impossible de reculer. C’est un peu le début de la traversée.

Corentin et Pablo sont très malades. Chacun son seau. Tiphaine aussi succombe, puis moi, puis Fréd. Passage très rude où il faut non seulement secouer l’épave que l’on est soi-même mais aussi les trois enfants qui sont à bord. Il faut pourtant se forcer à manger à tout prix : un abricot sec, trois cuillères de riz, un morceau de pain qu’on laisse fondre doucement dans la bouche. Car il faut tenir 24 heures sur 24. Bizarrement, j’attends les quarts de nuit avec impatience : au moins, là, les enfants dorment et les cieux étoilées sont d’une incroyable beauté.

Quatre jours, c’est si court quand on est à terre. Mais quand on ne voit plus la terre, c’est une éternité. On devient animal à dormir quand on se couche, à capter tous les bruits, à ne plus compter que sur soi, à protéger sa meute… La brosse à dent est devenue d’une futilité inouïe.

Le 3e jour, un tout premier oiseau, perdu dans l’océan, se pose sur mon bras. Sans le voir, je le balaie du revers de la main. Je m’en voudrai longtemps. C’est le premier et seul être vivant, avec une mouette et une libellule, que nous verrons en plus de 96 heures.

Tiphaine s’amarine très vite. Le jour de l’arrivée, elle est capable de dévorer des assiettes de raviolis. Elle brosse le pont, lave les hublots, abat les voiles… Corentin a presque retrouvé l’envie (l’envie seulement) de manger. Ne reste plus que Pablo, très affaibli, qui jure qu’il voyagera beaucoup en avion quand il aura 18 ans.

Et puis c’est la terre. La terre !!!!! Un bloc énorme de roche volcanique posé au beau milieu de l’océan. Un truc irréel, genre Rencontre avec le 3e type. Mais qu’est ce que fait ce machin, planté là au milieu ? C’est pelé, noir, assez moche, mais on trouve là ça trop beau. En plus, il y a des voitures et même des camions et même une grue. On croit rêver. C’est l’île de Porto Santo, petite sœur de Madère. Il va falloir recommencer à parler, et en plus en portuguech.

Samedi 6 octobre - Marocco express

Ceuta, c’est sympa. C’est le Maroc en Europe. Belles rues pavées où l’Espagne et l’Union européenne ont balancé des euros sans compter. Mais l’envie est trop forte d’aller voir de l’autre coté du rideau, le vrai Maghreb. Une brosse à dent pour cinq dans le sac à dos et nous voilà partis pour deux jours au Maroc. Le rideau n’est pas en fer, mais presque. Il nous faut marcher le long d’un corridor de près de 300m de long, bousculés par des dizaines de Marocains qui reviennent de faire leurs courses au Lidl. Un hélico survole le ciel. Des barbelés surplombent tous les récifs qui s’avancent dans la Méditerranée. Nous quittons le monde des riches pour un autre monde. Une autre planète. Le sentiment d’être sur une ligne de fracture nous saisit Fréd et moi. Les enfants regardent les femmes, toutes voilées, marcher à grands pas, mais sont plutôt séduits par les douaniers Marocains qui parlent étonnamment français.

Passée la frontière, première négociation d’une longue série : il faut marchander le prix d’un taxi qui nous conduira jusqu’à Chebchaouen, dans le Rif Marocain, à une centaine de kilomètres. Nous découvrions un peu tard que les taxis marocains sont des Vatanen lobotomisés. Evidemment pas l’ombre d’une ceinture de sécurité et le compteur bloqué sur 120 dans les routes de montagne. Arrivés à destination, il nous faut bien deux heures pour comprendre pourquoi on n’est pas mort. Mystère. Balade dans la médina de Chaouen. On voulait du Maroc authentique, on l’a. Les babouches pendouillent à côté des poulets. Les mendiants, les épices, les vendeurs assis par terre, les estropiés, les marchands de tapis, les murs en chaux blanche et bleu qui font penser au monde des Schtroumpfs et qui font rêver les enfants… En plus, c’est Ramadan et l’heure de la délivrance approche : les femmes courent le long des rues des plateaux de gâteaux plein les bras. La fête se prépare.



Nous sommes un peu paumés. Sans doute un peu de trop. Le choc est très violent dans ces montagnes pour nous qui vivons au rythme des marinas cossues et de la mer depuis des jours. Nous nous laissons porter jusqu’à un petit restaurant désert où la soupe est les tajins sont excellents. La chambre d’hôtel est des plus sommaires, mais il y a cinq lits, ce qui est déjà pas mal. De toutes façons, nous sommes crevés. Mais Corentin qui, avec ses yeux bleus et ses cheveux blonds a échappé à plusieurs kidnappings dans l’après-midi, ne trouve pas le sommeil si facilement. Et, bientôt, une toux rauque venue du fond des montagnes secoue le petit bonhomme. Une heure plus tard, le voilà embarqué dans un taxi avec son papa et le patron de l’hôtel vers l’hôpital de Chaouen. Laryngite. Sous notre chambre, les tambours et les chants se déchaînent. Dormir ? L’enfant, le père et la cortisone reviennent plus vite que ne le permettront jamais les urgences à la française. Cinq heures du matin. La fête s’éteint puisque le jeun reprend. Il reste quelques heures pour dormir, puis prendre un thé à la menthe, puis reprendre un taxi presque aussi fou que le premier.

A l’arrivée à Ceuta, les rues sont toujours aussi propres et bien dallées. En plus, il y a les copains du « Yann et Emilie » qui sont là eux aussi et nous invitent à partager leur poulet au curry. Les enfants sortent les trottinettes, les vélos et les cannes à pêche des bateaux. Nous sommes de retour au pays. Douce Europe !

mardi 9 octobre 2007

10 jours déjà…

On a fait le tour du rocher dans tous les sens. On sait maintenant que la douceur de la marina dissimule une population, essentiellement espagnole, très populaire, beaucoup de crasse, de décharges sauvages et des conditions de travail rudes où les grues ne s’éteignent qu’après 22 heures et tournent même le dimanche.

Le vent d’Est malheureusement, ne se lève pas, laissant des dizaines de marins comme nous dans l’attente. Envie de bouger : nous décidons de partir le jeudi 4 octobre, de l’autre coté du détroit, en Afrique, à Ceuta. On quitte un territoire anglais en terre espagnole pour un territoire espagnol en terre marocaine. C’est pas l’aventure, ça ?

On positive

C’est l’une des bonnes surprises de Gibraltar : de l’autre côté de la frontière, en Espagne, il y a Carrefour. Impossible de résister à la tentation : nous voilà parti un matin à l’aube, Fréd, Corentin et notre voisin Jean-Michel, armés de nos passeports pour faire le gros plein. Nous passons la frontière, attrapons un taxi et passons la porte de l’épicerie. Quatre heures plus tard, armés de trois caddies, nous passons à la caisse et trouvons un taxi super sympa qui accepte de tout enfourner. C’est à peine s’il ne prend pas un sac sur les genoux. Dommage que les taxis espagnols n’aient pas le droit de passer la frontière. Pablo et Tiphaine, heureusement, arrivent en renfort. Et c’est ainsi que nous transportâmes 300 kilos de bouffe, 48 canettes de coca, 24 litres de lait et 24 canettes de bière… sans alcool (on l’a pas fait exprès) de la frontière au bateau sur le dos. Alors, les filles, qui dit mieux ?

Samedi 22 septembre - Gibraltar en père peinard

Le lendemain de notre arrivée, le soleil brille sur Gibraltar. Il y a plein d’Anglais partout, très polis, très british. Tout le monde parle du coup de vent de la nuit et nous regarde avec une rare compassion… La marina est d’une chaude intimité, bordée de pubs où la bière coule à flot. Le cauchemar de cette nuit s’est-il vraiment produit ?

Ambiance très « voileuse », ici, contrairement aux Baléares. Ça parle vent, tour du monde, traversée, régate… On s’y croirait ! Nous faisons connaissance avec plusieurs Français très sympas : il y a Christian et Jean-Michel, nos voisins de pontons, qui veillent sur nous comme de bons compères. Il y a aussi Marie qui nous prête sa machine à laver (en fait, une simple brasseuse de linge mais qui nous semble d’une modernité high tech). Il y a son mari, Jacques, qui va être d’un grand secours : le moteur, en effet, s’est révélé complètement encrassé, il faut donc pompé tout le gasoil dégueulasse. Mais il faut aussi ouvrir le ventre de la cuve pour être sûr qu’il n’y a plus de merdouille. C’est Jacques qui s’y colle et qui, ensuite, rebouche la plaie en pro de la résine époxy. Un gros boulot, beaucoup de tracas pour Fréd, une mise à l’écart d’une journée pour les enfants et moi-même au cours de laquelle nous profitons de gravir à pied le rocher de Gibraltar. Tiphaine s’en tire avec une belle frayeur : les dizaines de singes qui peuplent le « caillou » ne sont pas rassurants. La randonneuse qui eu la mauvaise idée d’ouvrir sa canette près d’un macaque s’est retrouvée avec la boule de poils sur les genoux, dépossédé de son Coca pourtant bien mérité.


L’épisode du moteur, et du singe, mis à part, c’est la belle vie à Gib. Un soir, une famille avec 3 enfants passe devant le bateau. Par chance, l’un des gamins est abonné aux Clés Junior et reconnaît le nom du bateau cité dans un article consacré à notre aventure. Cette famille, c’est l’équipage du « Yan et Emilie ». Elle aussi s’embarque pour l’autre coté de l’océan avec Thomas, 10 ans, Raphaël, 7 ans et 1/2, et Hélène, 3 ans et 1/2. On sympathise. On va tous ensemble à la plage. Et c’est ainsi qu’un soir, 10 personnes se retrouvent à manger sur Yallingup, plus Christian et Jean-Michel qui passent d’un bord à l’autre par l’odeur alléchée.

Nuit du Jeudi 20 au vendredi 21 septembre - Déconseillé aux âmes sensibles

Gros spectacle son et lumière pour notre arrivée à Gibraltar. Dans la nuit noire, des dizaines de cargos, de méthaniers, de pétroliers attendent Dieu sait quoi dans le détroit. Tout illuminés, on dirait de gros gâteaux d’anniversaire plantés d’innombrables bougies. On réveille les enfants pour qu’ils découvrent ce décor incroyable surplombé de l’énorme rocher. Le temps qu’ils se rendorment, et c’est le crash. La pluie fine se durcit. Des éclairs zèbrent le ciel. En quelques minutes, le vent qui s’engouffre dans le détroit s’accélère en un gigantesque courant d’air. Les rafales sont de plus en plus fortes. L’éolienne tourne comme une folle en hurlant. Le rocher est prisonnier des nuages. On croirait l’Ecosse.


Le voilier est couché par de méchantes rafales que l’on distingue nettement arriver car la mer est toute blanche sur leur passage. En fait d’être abrité par le Rocher, on a plutôt l’impression que ce traître provoque un effet venturi et renforce les rafales sous l’orage. Les embruns nous giflent le visage, mais peut-être est-ce un orage de grêle. La mer blanche... Le bateau encore couché sur l’eau. Le port est tout proche. Mais où ? Tout est allé si vite que nous n’avons même pas eu le temps d’étudier la carte en détail. Encore faudrait-il pouvoir descendre à l’intérieur du bateau pour la lire. Ces pétroliers, qui nous menacent, sont notre salut : Fréd a l’idée de se mettre à l’abri derrière l’un d’eux. L’équipière en chef qui ne voit rien à travers ses lunettes, et qui est morte de trouille, reçoit l’ordre d’avancer le plus près de l’énorme bête d’acier puis de reculer, histoire de gagner la minute d’or qui permettrait de lire la carte. Mais damned : en reculant, le moteur s’étrangle. Dans la tempête, un bout s’est détaché. Il est tombé à l’eau et s’est pris dans l’hélice. Plus de moteur ? Du haut du pétrolier, on dirait que l’équipage nous appelle. On attend des rumeurs venant du pont. Nous ne saurons jamais s’il s’adressait à nous, et ce qu’il nous disait. Plus de moteur ? Il nous faut prendre le large au plus vite à l’aide de la grand voile qui est toujours hissée. Et puis, c’est le miracle : le moteur redémarre. L’hélice, nous le découvrirons plus tard, est bien étranglée par le bout. Mais le bateau avance. La carte est lue. On peut passer la digue et jeter les amarres sur le premier ponton venu. Il est 4 heures du matin. Nous descendons sur le quai, hagards. Le gardien est furax : nous n’avions pas le droit de nous mettre là. Comme disait Brel, il y a les gens qui sont en mer. Et puis, il y a les autres…

Samedi 15 septembre - Première grande traversée. Adieu Formentera. Direction Gibraltar

Première longue traversée. Tout va bien : Pablo a une otite, Tiphaine a des poux, Corentin a la tête dans le seau. Un bon vent, de bons creux. On apprend à vivre sans rien poser sur la table et en dansant la gigue du matin au soir. Des dizaines de dauphins viennent nous saluer, et sans doute donner un peu de courage à Pablo qui a très mal à l’oreille, très mal au cœur et très envie de repartir à Toulon par le premier avion. Escale improvisée à Almeria. On apprécie de mettre pied à terre, et l’on remercie Tiphaine du cadeau fait à toute la famille…

Vendredi 14 septembre - La douceur d’un port

La Méditerranée est une garce. Quand elle sent le cœur des marins trop léger, quand sur le pont des bateaux, les palmes et les maillots prennent trop de place, elle se pare de son visage le plus sombre. Et, la nuit, quand tout le monde dort du sommeil des plagistes, elle enrage. Alors, le vent se déchaîne, la coque se soulève et retombe. C’est le signal : le plus tranquille des paysages se métamorphose en Mister Hyde écumant, avec la falaise pour unique horizon. Il faut fuir et vite en direction d’un port où la vie semble si douce, si facile, si terrienne. Bienvenue à la marina de Formentera. Mais le calme a un prix : 120 euros la nuit. Touché, coulé !

Lundi 10 septembre - Formentera : pour Agnès

Petite escale tranquille dans la dernière île des Baléares (cf couleur de l’eau sur les photos). Spéciale dédicace à Agnès qui aime tant ce petit coin sec et turquoise de Méditerranée. A ce bébé que tu dois bientôt mettre au monde, Agnès, nous adressons un quartier de soleil de là-bas.

Samedi 8 septembre - Ibiza, c’est tout un art (plastique)

Au dessus de nos têtes, les charters se succèdent au rythme effréné d’un avion toutes les 3 minutes. Au ras de nos yeux, les yachts défilent toujours plus grands, toujours plus gros. Les plus petits font du bruit. Pour exister à Ibiza, il faut du long ou du sonore, sinon t’es mort. Dans le port d’Eivisa, la capitale, on a tout de suite repéré le voilier des loosers. Pas de moteur ? Pas de fuel ? Pas de pétarade ? Et, en plus, pas de Bimbo scotchée, les seins à l’air à l’avant du bateau ? Du balai. Une rentrée de port majestueuse à la voile ? Laissez moi rire. Ca fera 63 euros et surtout vous vous tirez à l’aube. On a du travail, nous.

Donc, nous voilà relégués dans l’arrière boutique. La petite crique des pauvres et des sans staff où l’on se passionne pour les réacteurs des avions. Heureusement, on est toujours à Ibiza. Et c’est ainsi qu’à l’heure où Corentin entame son atelier d’arts plastiques, le bateau à proximité se peuple d’une foule de jeunes gens aussi gais que leurs ancêtres beatniks venus échoués là dans les 70’s. Les tee-shirts volent, les soutiens gorges sautent, et le bas des maillots leur fait suite. Du fond du bateau, j’encadre Pablo et Tiphaine qui suent sur leur exercice de français. Fréd, lui, est sur le pont au côté de Corentin. Avec ses petits ciseaux, il coupe. Avec ses petits crayons, il colorie. Mais, bizarrement, c’est de moins en moins droit, et de plus en plus flou. A Ibiza, c’est vraiment trop dur de découper, en suivant les pointillés !