dimanche 16 décembre 2007

7 décembre : Santo Antao, beau, beau, beau

Ceux qui suivent ce blog fidèlement auront compris que Jean-Claude, le capitaine de Drisar IV, est devenu notre mentor. Fréd n’est pas loin de le vénérer. Heureusement, il l’a battu aux échecs. Ça rétablit les équilibres. Donc, Jean-Claude nous avait déconseillé des îles du Cap vert très touristiques, comme Sao Vicente ou Sal. Nous lui devons cette formidable rencontre avec Sao Nicolau. Et voilà que nous le remercions maintenant pour cette nouvelle escale à Santo Antao. Car si Nicolau est belle, Antao est splendide : ce morceau de terre, sorti de nulle part au milieu de l’Atlantique, abrite des montagnes vertigineuses, des forêts de résineux, un cratère semblable à une corne d’abondance avec ses bananeraies, ses plants de café, ses cultures de manioc et de pommes de terre…
En quelques minutes, on passe d’un désert aride, aux cyprès de Méditerranée, puis à une végétation tropicale nous rappelant les photos d’Isa en Asie. C’est une splendeur, et la route pavée qui relie le tout, entre ciel et terre, est encore plus belle que le reste.

Route de la corde entre Ribeira Grande et Porto Novo

Et puis, il y ce mouillage providentiel dans le port de Porto Novo avec une ancre d’un côté et un bout à terre de l’autre. Ça aussi, c’est une idée de Jean-Claude sans laquelle nous n’aurions jamais osé nous aventurer là. Après le départ de Drisar, nous nous retrouvons d’ailleurs seul voilier ici au milieu d’une petite flotte de chalutiers miteux et de barques prenant l’eau. Au début, on hésite et puis nécessité fait loi : on se baigne, on fait la vaisselle, la lessive…

Mouillage à Porto Novo

Notre bateau ressemble de plus en plus à un camp de gitans et nous sommes salés jusqu’aux os tant l’eau douce est comptée. Les Capverdiens font leur boulot sans se soucier de nous : à gauche, les ramasseurs de coquillages qui se donnent rendez-vous sur la plage pour casser les coquilles et en extraire les bêtes. En face, les passagers qui attendent les navettes pour Sao Vicente ou Sal. Beaucoup vont prendre l’avion et redevenir travailleurs immigrés dans leur HLM de Lisbonne ou Paris. On charge et on décharge les régimes de bananes, les big bags de sels ou de ciment, les chèvres, les vaches…. Un peu plus loin un cargo pourri avec sa grue pourrie. L’activité est cool, mais intense et plutôt bien organisée.
Allisson, un pêcheur, qui a fait le maçon trois ans en France, s’est pris d’affection pour nous. Un matin, nous lui achetons trois poissons et une raie. Le lendemain, il nous amène trois poissons en cadeau, apporte des coquillages aux enfants et nous proposent deux langoustes à prix d’ami. Pablo, Tiphaine et Corentin sont complètement mordus. Il y a des hameçons qui traînent partout sur le pont et il faut arrêter l’école tous les quarts d’heure pour voir si ça a mordu. Fréd zigouille et vide à tour de bras…. Bientôt on va tartiner nos pains du matin avec de la chair de maquereaux….
Nous attendons maintenant de finir la 4e évaluation du Cned. Un accouchement dans la douleur : 4 jours de travail, 20 devoirs écrits, 8 devoirs orals, des cris, des découragements et ces putains de cassettes qui n’enregistrent pas à la bonne vitesse, et ces putains de pas sur le pont qui font qu’il faut tout réenregistrer alors que c’était si bien parti…
Bientôt nous quitterons Porto Novo pour le petit port de Tarrafal, à l’ouest de l’île, puis pour la traversée. Adieu à tout ce petit monde du cap Vert et à cette population si hospitalière qui ne nous a jamais embêtés, jamais demandés de papiers, jamais truandés. Au contraire : nous avons toujours plus reçu que ce que nous demandions. Avant hier, le vent a poussé deux de nos pulls à l’eau. Des pêcheurs ont plongé tout habillés de leur bateau pour aller les repêcher.
Hier, Jailson nous a invité à son anniversaire et à celui de sa petite fille de 2 ans. On a bu du rhum, les enfants ont zouké jusqu’à minuit, pressés par une foule de petits noirs endimanchés, tressés, ravissants. Pour une première boum, ça déménageait comme il faut. Pablo avait un peu de mal à réfréner les gazelles.
La maison de Jailson, comme toutes les maisons ici, n’est pas finie. Il y a des murs de parpaings et une porte. Dès qu’un peu d’argent rentrera, on fera un couloir pour rallier la cuisine à gauche de la cour. Au milieu de ce chantier habité, il y a avait un énorme gâteau rose. On se serait cru dans un film. Au milieu de ses 150 cousins, belles-sœurs, neveux, oncles, tantes, parrains, Jailson nous a remercié d’être venus. Mais c’est nous qui le remercions.


Leçon de pêche de Jailson.

Paùl sort du brouillard

Papa et ses fistons

Champs de canne en fleur

Tout ce qu'il faut pour la Transat

Mmm la papaye, Corentin adore


P.S. Une pensée particulière pour Roger, le mari d’Yvette, marraine de Fréd. Roger est mort le 21 novembre. Nous l’aimions beaucoup, pour sa douceur, sa pétulance et sa galanterie. Roger était passionné par l’histoire du Moyen Age et, en particulier par Jeanne d’Arc dont il avait fait une relecture très moderne. Il était aussi passionné par l’histoire contemporaine puisqu’il s’était très tôt engagé dans la Résistance durant la guerre. Roger était plein de médailles qu’ils nous lèguent. Nous tacherons de continuer à les porter le plus dignement possible.

Sao Nicolau : l’enracinement

Dès le premier soir, le vent se met à souffler. Et il ne s’arrêtera plus. C’est une succession de rafales d’une violence inouïe. Je passe une nuit sur le pont à écouter l’ancre souffrir sur ses bases. Je me demande quand l’avant du bateau va s’arracher, que tout va pêter. Nous comprenons maintenant pourquoi Jean-Claude, ce vieux loup de mer, s’était mis à l’écart. Là-bas, au moins, il était à l’abri. Après son départ, nous nous empressons de prendre sa place. Mais les rafales sont encore très fortes et Fréd se casse une côte en remontant le mouillage empennelé (deux ancres) qui nous tenait tant bien que mal accroché au sol.
A part ce vent, à côté duquel le Mistral est un souffle de demoiselle, tout va bien. A Tarrafal, les enfants se font chaque jour de nouveaux copains, une ribambelle de petits noirs, tous maigres comme des bambous, sans parents apparents, sans horaires. Le rêve ! Nous nous lions avec Aurélien, un capverdien qui prend Corentin par la main et nous aide à trouver un peu de pain et des cartes postales. Car ici, rien n’indique qui vend quoi et où.

Aurélien, notre Sésame à Tarrafal

Les copains de Tarrafal

Un cahier et un crayon, le plus beau cadeau

Le dimanche, nous louons les services d’un aluger pour partir marcher à la découverte de l’île. Et là, c’est l’émerveillement. Alors que le sud est un désert de western, nous tombons sur une montagne de toute beauté. Sur le chemin, tout le monde nous dit bonjour. Les femmes portent de grosses bassines sur la tête et, à chaque virage ou presque, nous tombons nez à nez avec des ânes chargés de bouteilles de gaz ou de sacs de blé. De petits enfants, encore eux, montent et descendent les pentes raides avec leurs tongues et leurs shorts. Pablo, Tiphaine et Corentin, avec leurs lunettes de soleil et leurs souliers Decathlon, dénotent lourdement. Mais ils ont pensé à prendre des crayons, des feuilles de papier, trois gadgets. Les rencontres sont multiples. Les enfants échangent des dessins, des sourires, des caresses. A l’occasion d’une seconde balade, plusieurs jours plus tard, alors que nous pique-niquons, épuisés par une montée raide comme la justice, nous rencontrons 4 jeunes et leurs deux ânes. Ils viennent de gravir le même sommet que nous : comme tous les jours, ils rentrent de l’école et rejoignent leur village tout en bas dans la vallée.

Virée en Aluguer sur Sao Nicolau

Arrivée à Ribeira da Prata


Départ de Praia Branca

Des enfants de Fregatta

Retour de l'école pour 4 enfants de Covoada

Des enfants qui s'envient mutuellement

J'irai bien à l'école en âne moi aussi

Tiphaine avec Lendi et Milena

Un petit cadeau d'adieu

Ca fait du bien de manger un peu

Un peu plus loin, sur le chemin, nous croisons des vieillards d’un autre temps sur le muret. On se salue. Une vieille mamie édentée offre son biscuit à Pablo. On offre un abricot sec. Le vieux s’en va en claudiquant et revient de longues minutes plus tard avec de nouveaux biscuits et une bouteille de lait. Ces gens qui n’ont rien nous offrent le goûter.

Au dessus de Covoada

Au dessus de Ribeira da Prata

Rencontre
Papa et son fiston

Eh Papi, t'as vu ?

Rencontre à Estancia Bras

Avec Jam

Avec Miriam

Une pensée particulière pour Miriam, cette petite fille de Tarrafal, rencontrée un jour de sortie d’école. Contrairement à beaucoup d’autres, Miriam ne porte pas d’uniforme. Elle ne parle quasiment pas. Elle a fait la course avec les enfants, a joué sur le chalutier avec Tiphaine, ne s’est jamais soucié de l’heure qu’il était pour savoir quand elle devait rentrer. Le dernier jour, elle nous a regardés nous éloigner avec ce petit air de sauvageonne qui accepte mais ne comprend pas.


Cratère de Cova

Vendredi 30 novembre - Sao Nicolau, Cap Vert : le débarquement

Le soleil se lève à peine quand nous arrivons à Tarrafal. Une surprise de taille : Jean-Claude, son Drisar IV, ses 8 ados et ses 2 accompagnateurs sont au mouillage, très à l’écart du petit port. Les navigateurs sont souvent des moutons à se coller les uns contre les autres à l’intérieur des marinas. Mais Jean-Claude est un pur et dur. Même à Tarrafal où il n’y a aucun bateau ou presque, Jean-Claude tient ses distances. Nous mouillons quant à nous près du port, ou de ce qui y ressemble. Cette terre, devenue si proche, nous semble toujours aussi lointaine. Alors, on prend notre temps, on fait l’école. Après 6 jours de mer, le bateau est devenu notre île. Il faut du temps pour s’en arracher.

Quand nous débarquons en fin de journée, nous nous faisons tout petit dans l’annexe. Nos premiers pas au Cap Vert se font sur la pointe des pieds. On s’attend à Dieu sait quoi, mais tout est tranquille ici. Des nuées d’enfants déambulent en riant, souvent pieds nus. Les peaux sont noires, mais les visages sont métissés, le plus souvent très doux. Il y a plein de petites échoppes sans enseigne où l’on devine quelques rayonnages de boîtes de conserves et de sacs de graines. Très peu de voitures, pas de trottoirs, mais de belles rues pavées. Le premier contact est le bon. Notre petit gardien d’annexe nous attend. Il a fidèlement gardé notre second bateau en échange d’une pièce.

vendredi 14 décembre 2007

Canaries - Cap Vert : 6 jours - 6 nuits


Départ de la Gomera (Canaries) sur les rotules (3 jours qu’on remplit le bateau, qu’on brique, qu’on répare…) et un peu sur les nerfs : il serait si simple de partir direct sur les Antilles ! Le passage par le Cap Vert nous oblige à tout organiser d’ici pour la grande traversée, de prévoir une autonomie totale en eau, bouffe, gaz et électricité pour le temps supplémentaire de passage au cap Vert et, surtout, d’accepter l’idée qu’on ne périra pas là-bas (tourista, vol, pénurie, vents très violents, courants de folie, pas de Carrouf, pas de marina et plein de Noirs !) Pour la première fois, l’escale à venir nous fait moins rêver qu’elle nous inquiète. Pour la première fois, on part contents mais… à reculons. Et puis, première belle surprise, cette traversée se passe à merveille. C’est pas la croisière s’amuse, mais ça y ressemble presque. Le patch collé derrière l’oreille droite de Catherine et les petits médicaments homéopathiques distillés aux enfants font des miracles. Un ou deux vomis pour la forme (Corentin et Pablo tiennent à leur réputation), mais pas plus. Il faut dire que les alizés sont au rendez-vous : nous marchons vent arrière poussés par d’immenses vagues sur lesquelles surfent le bateau comme sur un tapis roulant. Rien de brusque dans ce mouvement où le voilier et la mer vivent (enfin) une harmonie parfaite, très belle.


Et puis on s’organise : dans ces journées si longues où le bleu succède au bleu, puis le noir au noir, il faut trouver un rythme. Faire comme si la vie continuait normalement. Donc on déjeune, on s’habille, on se débarbouille, on se douche même… Vers 11 heures, petit cours de gym à l’avant du bateau (le simple fait d’y accéder est en soi une expérience abdominale forte), pêche (euh…), navigation au sextant (euh….), déjeuner, sieste, atelier nœud avec Corentin en maître de stage, etc. Les enfants arrivent même un jour à regarder un DVD. On met Charles Trenet (Douce France) en jouant au domino. On fait le pain et une pizza délicieuse. Le soir, on regarde le plancton illuminer la mer. C’est merveilleux. Et puis, c’est l’arrivée des premiers poissons volants qui atterrissent sur le pont comme un gag, ou, comme un cauchemar, c’est selon, quand, en plein quart de nuit, en plein polard, l’un de ses trucs gluants vous atterrit dans le cou sans prévenir. Effet garanti !


Bon, les poissons volants finissent à la poèle et avec eux, une magnifique dorade choryphène qui salue des heures d’effort et de patience au dernier jour de cette mini-transat. L’île de Sao Nicolau se dessine dans la nuit. Mais une arrivée nocturne est exclue. Et puis on est bien, là, tous les cinq. Alors on appuie à fond sur les freins. Arrivée prévue demain à 8 heures dans le petit port de Tarrafal.